«Vite, vite, vite, il va pleuvoir »

Sur cette phrase des plus banales, l’adolescent blond se dépêcha de rentrer dans le premier bâtiment à sa portée, c'est-à-dire dans le bâtiment principal. Interrompant ainsi ce qu’il était en train de faire. Pas que le dessin d’arbre qu’il dessinait fut d’une incroyable beauté, mais pour une fois, Haru était fière de ce qu’il avait réussit à produire avec un simple crayon de papier et une feuille blanche. Le coup de crayon était assez simple, et le rendu ne ressemblait à rien, mais le tout dégageait quelque chose de peu commun, du genre que dégagent les grandes œuvres, même si ce ne sont qu’un carré noir sur une toile blanche ou un rond rouge sur un fond noir. Dans sa précipitation face aux nuages menaçant de plus en plus la stabilité du temps, le chiita plia son magnifique dessin (qui était loin d’être aussi magnifique que prétendu) de tel manière qu’il se déchira. Mais presser par son envi de rester sec, il ne s’en rendit par compte tout de suite.

Son but de ne pas être mouillé fut presque atteint. Presque. Car un imbécile avait trouvé bon de faire la blague du sceau d’eau en haut de la porte des toilettes. C’est cette blague que l’on voit souvent dans les films, quand un personnage entre dans une pièce, et renverse l’eau contenu dans un sceau, perché en équilibre précaire au dessus de la porte, pour se la prendre dessus. Malgré toute la bonne volonté du monde, Haru ne put rester sec, et se retrouva trempé des pieds à la tête. A ce moment-là, le blagueur devait se terrer bien loin du lieu de sa farce, soit par peur des représailles du chiita, soit par ce qu’il devait être en cours –La deuxième solution étant sans doute la plus probable-. Mouillé et énervé, c’est d’un pas assez rageur que le blond se dirigea vers sa chambre. Avant de réaliser une fois devant qu’il n’avait pas prit ses clés aujourd’hui, puis ce qu’il n’était pas sensé sécher les cours et que ses colocataires devaient rentrer avant lui.

Il songea une seconde à tordre la poignée de porte, avant de tout de suite se raviser : les personnes partageant sa chambre n’auraient sûrement pas été contentes de voir la poignée dans cet état là. Et la faute allait sûrement retomber sur Haru, qui se défendrait avec des arguments plus que douteux, ce qui le rendrait facilement accusable. Ainsi, l’idée repartit aussi vite qu’elle était venue. Deuxième solution : Voir s’il ne pouvait pas trouver Shizuma, Angéline ou Reira dans un de leurs cours, entrer discrètement dans la salle puis s’en aller avec les clés, sans se faire repérer par le prof. .. Autant dire que cela était un défi plus que corsé, voir presque improbable à réaliser. Et pourtant, Haru, en bon optimiste qu’il est, partit dans les couloirs pour trouver une de ses trois colocataires. Et là, devant la porte de cours, il fut frappé par l’idiotie de son idée. Oui, il ne s’en était rendu compte que maintenant qu’elle était idiote, il faut l’excuser l’eau lui est sans doute rentrée dans la tête, ce qui ralentit considérablement ses pensées. …

Ainsi, dépité, mouillé, et abattu (tout l’optimisme éphémère s’étant en aller), l’étudiant redescendit l’escalier, et ho, surprise, découvrir un autre étudiant, qui paraissait aussi esseulé que lui-même, en moins pathétique. Pour ne pas perdre la face, face au rouquin (qui semblait être nouveau et donc ne devait pas le connaitre) Haru descendit à côté de la rampe, majestueusement, comme il s’imaginait un noble le faire, bien qu’il n’ait jamais vu Sancto faire de même, et déclara d’un ton qui se voulait royale,mais qui paraissait plus ironique :


… Comme phrase d’accueil, on peut faire mieux, n’est-ce pas ?

Sur le moment, Haru c’était dit que cela ferait bonne impression de se comporter de façon royale et noble, alors qu’il était trempé. Mais maintenant, avec un peu de recul, et un peu de temps, il trouvait plutôt que cela était une mauvaise idée. Ce qui l’avait fait changer d’avis ? La réflexion de Crona. Maintenant, en effet, le chiita constata qu’il avait oublié la politesse la plus primordiale, en plus de s’être montré orgueilleux. Et du coup, il restait planté sur sa marche d’escalier, trempé, alors que s’il avait fait des efforts, ou s’il avait été naturel, il aurait sans doute pu obtenir des vêtements. Ou pas, tout dépend du vrai caractère du roux, devant lui.

« Impoli, moi ? Ah c’est la meilleure J’ai fait l’effort d’employer le mot "amabilité", et voilà comment ça finit ! J’aurai tout simplement dû faire mon truc habituel. Du genre : "Hey, j’te connais pas, tu me connais pas encore, mais j’suis trempé, et comme tu viens d’arriver, t’as des vêtements de rechange, enfin j’crois, j’espère que tu gardes pas toujours les mêmes vêtements. Tu pourrais m’en prêter s’il te plait ? J’suis chambre n’°9, tu auras qu’à frapper demain pour les récupérer." Et non, et non, on me traite d’impoli ! »

Petit monologue de Haru, ne faites pas attention, c’est sous le coup de l’émotion, et de l’eau, peut-être.

« Bon, tant pis, j’attendrai la prochaine sonnerie. Mais si je tombe malade, je te le rappellerai ~ »

Même si le blond n’avait pas été très poli, le roux, dans son genre, n’était pas mal non plus : Il parlait assez froidement, et cela ne donnait pas envi de lui répondre, et même de lui parler. En première impression sur quelqu’un, ce n’est pas top, n’est-ce pas ? De toute façon, pour l’instant, les garçons n’avaient pas une haute estime de l’autre, chacun pour ses raisons.

« T’es mal tombé, à cette heure tout le monde doit être en cours. Sauf l'infirmière, le bibliothécaire, et tous ses gens-là. Peut-être les surveillants aussi, mais, j’préfère qu’il ne me trouve pas, les heures de colles ne sont vraiment pas pour moi. Tu veux en trouver un pour quoi ? »

Depuis cette nouvelle rencontre, Haru était convaincu d’une chose : Il n’appréciait pas le roux. Et cela devait être la même chose dans le sens inverse. Les raisons étaient assez futiles, et l’explication encore plus, mais on ne pouvait rien y faire, du moins, pour l’instant. La vie est faite ainsi, il y a des gens que l’on croise, et avec qui on sait que l’on va bien s’entendre, et il y a les autres. Ces autres que l’on méprise ou qu’on ignore. Ou alors, qu’on apprend à haïr au fil du temps. Car oui, la haine ne vient pas en un jour, il faut du temps pour créer ce sentiment. Un sentiment presque artificiel, créé dans le seul but de se convaincre que l’on ne peut rester neutre face à certaines choses, ou certaines personnes. L’opposé de l’amour, le degré supérieur de la neutralité. Mais, quoi que pensent les gens, il vaut mieux être haït qu’être ignoré, car, au moins, on a un minimum d’importance, même négative, pour la personne qui exprime de la haine à notre égard.

« Que tu sois médecin ou pas ne ferra rien. C’est juste pour que tu regrettes de ne pas m’avoir prêté des vêtements aujourd’hui. Fufu »

Comme l’avait deviné le chiita quelques instants plus tôt, le roux était nouveau. Et semblait complètement perdu. Peut-être qu’il devrait alors se montrer gentil avec lui, et lui offrir son aide ? Peut-être, oui. Ou alors, il pouvait aussi lui faire une mauvaise blague, une crasse que le nouvel arrivant n’oublierait pas de si tôt. De toute façon, Haru commençait à trouver que la vie au pensionnat était assez fade, donc se créer des ennemis ne le dérangeait nullement, autant que la vie soit amusante et un minimum dangereuse, on en a qu’une ~

« Si tu as besoin d’aide, je peux t’emmener jusqu’à la porte du bureau des surveillants. Mais ne compte pas sur moi pour y entrer. »

Tout en disant cette phrase, le blond avait agrippé le bras de l’autre étudiant, comme pour le retenir et lui montrer sa bonne foi pour l’aider, ce qui était tout à fait faux, bien entendu. En même temps, Haru lui adressa un de ses plus beaux sourires enjôleurs, de ceux que l’on montre quand on veut se faire passer pour innocent ou que l’on veut charmer quelqu’un.